Au Maroc, l’économie du sport est difficile à évaluer. Manque de data, de statistiques regroupées et fiables, ainsi que d’institutions dédiées au suivi économique de ce secteur… Les rares indicateurs valables pour estimer le poids de cette économie se résument à quelques chiffres, condensés dans deux études : la première produite par le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) en 2019. Et la seconde, plus récente, produite fin 2020 par le cabinet de conseil PWC en partenariat avec l’Agence Française de Développement.
Les deux études présentent des chiffres et des tendances presque similaires, qui permettent, malgré le manque de données globales, de mesurer le poids de l’économie du sport dans le pays. Et tirent pratiquement les mêmes conclusions.
En dix ans, l’économie du sport a doublé de taille
Première tendance marquante : la forte croissance de cette économie sur la dernière décennie. En 2008, le sport générait pour le pays l’équivalent de 0,64% du produit intérieur brut (somme des richesses créées sur une année). Ce chiffre a pratiquement doublé depuis, s’élevant à fin 2019, à un peu plus de 1% du PIB.
Une forte progression que les experts du CESE ainsi que ceux de PWC expliquent par l’élan donné au secteur par les assises de Skhirat de 2008. Des assises qui ont abouti à la réalisation d’une stratégie nationale pour le développement du sport. Mais il y a aussi les candidatures successives présentées au Maroc pour l’organisation des coupes du monde de football, qui ont créé une véritable dynamique d’investissement dans le secteur, notamment dans les infrastructures.
Ces deux dynamiques expliquent ce saut quantique du sport dans le PIB, mais aussi dans l’employabilité : le sport fait travailler actuellement pas moins de 240 000 personnes. Un effort louable comme le signale PWC, mais qui reste insuffisant et loin des moyennes mondiales. Si le Maroc se distingue sur son continent, aux côtés de l’Afrique du Sud, le pays reste loin des moyennes européennes par exemple, où le sport contribue à au moins 2% du PIB.
La croissance des dix dernières années est donc bonne. Elle montre que le pays est sur la bonne voie, mais qu’il doit désormais passer un nouveau cap, donner un coup d’accélérateur à ce secteur pour rattraper les grandes économies mondiales et faire du sport un véritable levier de développement économique et social. Et les marges de progression, le pays en compte à la pelle. A commencer par une meilleure inclusion de la femme…
Les femmes ne représentent que 19% des licenciés sportifs
Sur une population de plus de 34 millions d’habitants, dont 11,5 millions ont entre 15 et 34 ans, la filière du sport ne compte que 337 400 licenciés, soit à peine 1% de la population. En France par exemple, ce taux est de 30% !
Et dans ce petit lot des 337 400 licenciés marocains, seules 19% sont des femmes, soit à peine 66 300 pratiquantes en tout et pour tout. On peut se satisfaire de cette proportion de 20% quand on se compare au continent africain où la pratique féminine ne dépasse pas les 5%. Mais ce serait se mentir, car la logique voudrait que la répartition des licenciés sportifs soit au moins égale à la répartition démographique du pays, où plus de la moitié sont des femmes.
Des chiffres que des responsables du secteur sportif au Maroc tentent toutefois de nuancer en avançant que la pratique sportive ne peut se résumer au nombre de licenciés. Doit également être considérée la pratique de masse. Et là, c’est dans le privé que les choses évoluent, mais sans le moindre indicateur.
C’est ce que note d’ailleurs l’étude de PWC, qui fait remarquer que le nombre de salles de fitness par exemple s’est nettement accru au Maroc ces dernières années, avec une prédominance de la clientèle féminine. Mais il est difficile de mesurer l’étendue de cette pratique. Idem pour la consommation de produits ou d’équipements sportifs, où l’on compte l’éclosion de nombreuses chaînes commerciales avec une grande clientèle féminine.
Mais il reste que l’indicateur mondialement reconnu dans l’approche genre du sport reste le nombre de licenciés dans les fédérations sportives d’un pays. Et au Maroc, ce nombre, quoiqu’en évolution par rapport au passé, reste très faible.
Promouvoir des héroïnes sportives
Pour les consultants de PWC, cette faible participation de la femme s’explique par plusieurs raisons. Le manque d’engagement des fédérations dans l’effort de recrutement des jeunes filles, la faiblesse de la pratique sportive dans les écoles, là où tout se passe, où l’on prend goût au sport. Ainsi que le manque de mise en lumière du sport féminin dans les évènements nationaux.
Rares sont les chaînes au Maroc qui retransmettent en effet des matchs de football féminin, ou des compétitions sportives féminines. « Par manque d’audience et d’intérêt du public », nous dit un responsable du pôle public audiovisuel. Ce qui nous ramène au fameux paradoxe de la poule et l’œuf : faut-il attendre que le sport féminin se développe pour le médiatiser ? Ou la médiatisation en soi est-elle un vecteur du développement du sport féminin ? Pour des chaînes publiques, qui ont le souci de la parité (principe inscrit dans la constitution du pays), c’est plutôt le second choix qui doit primer.
Autre problématique soulevée par les consultants de PWC : le manque de sécurité dans les stades, un facteur qui empêche la femme de consommer du sport et d’être une actrice visible et active de cette économie. Un problème qui peut être résolu par une modernisation des systèmes de billetterie, par une meilleure sécurisation des stades, ainsi que par l’implication des associations de supporters dans ce sujet.
Mais pour attaquer le dur, la pratique sportive, il n’y pas de recette miracle, comme le signale Marie Cécile Tardieu, DG déléguée Business France, qui a longuement travaillé sur cette problématique du genre dans le sport. Pour elle, « il faut promouvoir l’existence d’héroïnes sportives qui donneront envie aux jeunes marocaines de pratiquer le sport ».
Un phénomène que le Maroc a vécu à la fin des années 1980 et au début des années 1990 avec le sacre de Nawal El Moutawakil aux JO de Los Angeles en 1984, ou les performances de Nezha Bidouane, deux femmes qui ont tutoyé les sommets de l’athlétisme mondial, poussant plusieurs jeunes filles à suivre leurs pas.
« Ce n’est pas qu’un sujet de parité ou de féminisme. Mais un sujet économique. Une économie ne peut se développer sans la participation de la femme. C’est valable aussi pour l’économie du sport. Si l’on prend la problématique de cet angle économique, il paraît évident qu’il faut attirer de plus en plus de femmes à la pratique sportive », explique-t-elle.
Ceci peut être valable dans les sports populaires, comme le football, le basketball, le handball, l’athlétisme, mais aussi dans des filières comme l’équitation, qui peut être un véritable outil d’inclusion de la femme rurale par exemple.
« Le sport a une grande capacité de lisser les inégalités territoriales. A travers des politiques d’aménagement du territoire, on peut par exemple imaginer le développement des sports équestres dans le monde rural. Le Maroc est un pays de cheval, il faut capitaliser dessus. Mais cela doit s’accompagner d’un grand effort de formation du capital humain, y compris des femmes, pour faire monter en compétence les gens », explique-t-elle. Une idée assez originale dont le Royaume de la « Tbourida » peut s’inspirer…